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123 C - 7/80 - Berufungskammer der Zentralkommission (Berufungsinstanz Rheinschiffahrt)
Entscheidungsdatum: 28.10.1980
Aktenzeichen: 123 C - 7/80
Entscheidungsart: Urteil
Sprache: Französisch
Gericht: Berufungskammer der Zentralkommission Straßburg
Abteilung: Berufungsinstanz Rheinschiffahrt

CHAMBRE DES APPELS DE LA COMMISSION CENTRALE POUR LA NAVIGATION DU  RHIN

ARRÊT

du 28.10.1980

Le 24 janvier 1978, vers 17h30, l’automoteur rhénan "„D“" appartenant à Monsieur Robert „M“ et piloté par celui-ci a, au cours de la manoeuvre d’amarrage, heurté un duc d’Albe situé dans le garage amont des écluses de Kembs. M. „M“ est reparti le lendemain matin -soit le 25 janvier 1978 - sans prévenir les autorités compétentes de l’accident qu’il avait provoqué. Ce n’est qu’à 10h.30 du même jour (25 janvier), au cours d’un contrôle de routine, que la Brigade fluviale de Neuf-Brisach a demandé des explications au capitaine au vu  des dégâts constatés sur la coque du "„D“". Lors des constatations de l’enquête effectuée par la Gendarmerie, M. „M“ a reconnu avoir heurté un duc d’Albe, "le premier en amont des trois qui existent en rive droite", occasionnant ainsi au bateau qu’il conduisait une déchirure se trouvant au-dessus de la ligne de flottaison; il soutient cependant qu’un fort vent rendait difficile la manoeuvre d’amarrage dans le garage de l’écluse. Après avoir avisé l’ELECTRICITE DE FRANCE de l’accident survenu la veille dans l’écluse de Kembs, la Gendarmerie a relevé deux infractions à la charge de M. „M“. La première pour non-déclaration aux autorités compétentes, d’un accident matériel de la navigation, prévue par l’article 1.14 du Règlement de Police; la deuxième qui n’intéresse pas le litige, pour défaut d’inscription du numéro officiel sur le certificat de visite (2:05 du Règlement de visite des bateaux du Rhin). Ces infractions ont fait l’objet du procès-verbal n°31 en date du 28 janvier 1978 de la Brigade fluviale de Neuf-Brisach. Le 2 mars 1978, il a été procédé à une expertise contradictoire par M. BESCH représentant la Compagnie d’Assurance du "„D“" et M. SAMIE expert fluvial, représentant l’ELECTRICITE DE FRANCE aux fins d’évaluer et chiffrer les dommages causés au duc d’Albe lors de la manoeuvre d’amarrage effectué par M. „M“.
 
Le 9 janvier 1979 l’ELECTRICITE DE FRANCE a saisi le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg d’une demande tendant à voir condamner M. „M“ à lui payer :

1) la somme de 51.120 francs hors taxes, avec les intérêts de droit à partir du prononcé du jugement, en réparation du dommage causé,

2) la somme de 2.585,00 francs assortie des intérêts de droit à partir du prononcé du jugement au titre des frais d’expertise,

3) la somme de 4.000,00 francs assortie des intérêts de droit à compter du prononcé du jugement à titre de dommages-intérêts par application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L’ELECTRICITE DE FRANCE a également demandé et la condamnation de M. „M“ en tous les frais et dépens de la procédure et l’exécution provisoire du jugement à intervenir sans caution.

L’ELECTRICITE DE FRANCE allègue au soutien de sa demande:

- que le duc d’Albe a été endommagé à la suite d’une fausse manoeuvre imputable à M. „M“ qui ne conteste d’ailleurs pas la matérialité des faits;

- que le vent fort soufflant le 24 janvier 1978 ne saurait être invoqué par M. „M“, alors surtout qu’il est de jurisprudence constante qu’une rafale de vent ne constitue pas par elle-même un fait  imprévisible et irrésistible à moins qu’elle n’ait revêtu une soudaineté ou une violence tout à fait exceptionnelle,  ce qui n’était pas le cas au moment de l’amarrage,

- que la responsabilité du conducteur de 1’automoteur procède également de son comportement puisqu’il est établi qu’il n’a pas jugé utile de signaler le choc aux agents de l’ELECTRICITE DE FRANCE, pas plus au moment de l’accident (par radio) qu’au moment de l’éclusage vers l’aval à KEMBS; que cette réticence délibérée et fautive, d’ailleurs établie par l’enquête de la Gendarmerie, permet d’affirmer que les dégâts constatés au duc d’Albe ont bien été provoqués par le choc avec le "„D“" et la fausse manoeuvre de son conducteur.

Monsieur „M“ conclut au rejet de la demande, à la condamnation de l’ELECTRICITE DE FRANCE aux entiers frais et dépens et, à titre subsidiaire, à l’octroi des plus larges facilités de paiement. Il conclut, en outre à la condamnation de l’ELECTRICITE DE FRANCE au paiement de 5.000 Francs en vertu de l’art.700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

A l’appui de ses conclusions M.“M“ fait valoir que l’ELECTRICITE DE FRANCE est sans qualité pour agir en réparation du dommage lequel n’a pas été causé par l’automoteur "„D“" quand bien même celui-ci aurait heurté un duc d’Albe, car ce heurt, qui n’a pu endommager l’ouvrage est la conséquence exclusive du coup de vent qui a brossé le bâtiment sur le palpeur.
 
Sur la recevabilité de la procédure, la demanderesse réplique en invoquant un jugement du 25 juin 1979 par lequel le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg confirme que l’ELECTRICITE DE FRANCE a bien la qualité pour exercer, en son nom propre et en vertu d’un droit qui lui est propre, une action en dommages-intérêts.

Le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg a rendu le 11 février 1980 un jugement dont le dispositif est ainsi conçu:

Le Tribunal, statuant publiquement contradictoirement et en premier ressort:

- Condamne le défendeur à payer à la demanderesse:

1. la somme de 51.120 francs H.T. en réparation du dommage résultant de l’accident du 24 janvier 1978;

2. la somme de 2.585,00 francs à titre de frais d’expertise;

- Dit que ces montants porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement;

- Autorise toutefois le défendeur à se libérer de sa dette par des versements mensuels de 6000 francs à partir du 1er mars 1980, date du premier versement, et tous les premiers du mois; dit que le défaut de versement d’une seule mensualité dans les huit jours de son échéance entraînera l’exigibilité immédiate du solde encore dû;

- Condamne le défendeur à payer à la demanderesse la somme de 4.000 francs par application de l’art. 700 du Nouveau Code de Procédure Civile;

 - Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

- Condamne le défendeur en tous les frais et dépenses Qu’au soutien de ce dispositif et en ce qui concerne la fin de non-recevoir pour défaut de droit d’agir:

Le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg a estimé  que si l’ELECTRICITE DE FRANCE n’est pas propriétaire des installations édifiées pour les besoins de la concession, on ne saurait cependant contester qu’elle a reçu de l’Etat le droit de les exploiter à son profit et qu’elle a été chargée de veiller, sous sa propre responsabilité, à la conservation de tout  ce qui forme l’objet de la concession; que le Cahier des Charges prévoit qu’à l’expira¬tion de la concession, le concessionnaire sera tenu de remettre en bon état d’entretien toutes les installations reprises par l’Etat; qu’en raison même de ces droits et obligations, il faut que l’ELECTRICITE DE FRANCE puisse exercer les actions qui ont pour objet la conservation des installations et par voie de conséquence leur remise en état en cas d’accident ; que l’ELECTRICITE DE FRANCE a donc bien qualité pour exercer, en son nom propre et en vertu d’un droit qui lui est propre, la présente action en dommages-intérêts: 
 
En ce qui concerne la responsabilité, le premier juge fait valoir que l’importance des dégâts causés à l’automoteur atteste à elle seule que le choc a été violent; qu’il apparaît des constatations faites par la gendarmerie et des propres déclarations de M. MEMRATH que le dommage dont la réparation est demandée est bien la conséquence du heurt provoqué par le "„D“"; qu’il résulte également de l’enquête que le vent n’est pas intervenu subitement, mais que le défendeur a entrepris une manoeuvre d’amarrage hasardeuse et qu’il ne saurait prétendre avoir été surpris par un événement imprévisible et irrésistible; qu’il s’en suit qu’il y a lieu de considérer que l’accident a trouvé sa seule cause dans l’imprudence fautive du défendeur ; qu’en ce qui touche les montants réclamés au titre de la réparation du dommage et des frais d’expertise, ils ne sont pas contestés et doivent dès lors être mis à la charge du défendeur auquel il convient cependant d’assortir des délais de paiement; qu’enfin le premier juge a admis, qu’eu égard à l’obstination du défendeur à ne pas indemniser la demanderesse, ne serait pas équitable de laisser à la charge de l’ELECTRICITE DE FRANCE la totalité des frais irrépétibles ; qu’il échet donc, avec application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, de condamner le défendeur au paiement complémentaire d’une somme de 4,000 francs à titre de dommages-intérêts.

Par acte d’appel, dont l’original a été déposé au greffe du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg à la date du 11 février 1980, Monsieur MEMRATH a interjeté appel contre le jugement susvisé, déclarant expressément porter l’appel devant la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin.

Tout en reprenant les conclusions et motifs de première instance, M. „M“ demande à la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin :

- Infirmer le jugement dont appel,

- Adjuger à l’exposant toutes les conclusions prises en 1ère instance et toutes celles qu’il croira devoir y ajouter en appel,

- Condamner l’ELECTRICITE DE FRANCE en tous les frais et dépens.

Par mémoire ampliatif du 10 mars 1980 et à l’appui de ses conclusions  M. „M“ fait tout d’abord valoir "l’absence de légitimation active" de l’ELECTRICITE DE FRANCE en soutenant que l’Etat,autorité concédante, devait, au regard de la convention du 7 juillet 1926 relative à la concession des travaux d’aménagement et de la chute de KEMBS, être considéré comme immédiatement propriétaire des installations édifiées par le concessionnaire et ne pouvait dès lors abandonner à quiconque le droit d’exercer les actions concernant le Domaine Public;
 
QU’au fond, M. „M“ soutient que le premier juge, en considérant que l’accident a trouvé sa seule cause dans l’imprudence fautive du défendeur, a payé tribut à l’erreur en se basant principalement sur le procès-verbal dressé par la Gendarmerie fluviale ainsi que sur une attestation de la météorologie produite par l’ELECTRICITE DE FRANCE; qu’à cet égard il fait valoir que le fait d’entreprendre une manoeuvre d’amarrage, alors qu’il existait, ainsi que le relatent les constatations de la Gendarmerie, une tempête, n’est certainement pas fautif; que bien au contraire le "„D“" ne pouvait renoncer à cette manoeuvre d’amarrage sans compromettre la sécurité de la navigation et de l’ensemble des installations pendant la tempête; que c’est à tort également que le premier juge affirme que le heurt est fautif, le vent n’étant pas survenu subitement ; qu’il convient de rappeler qu’en cas de tempête le vent souffle par rafales et que c’est précisément  l’une de ces rafales qui a projeté le "„D“" sur le duc d’Albe, malgré les précautions prises pour maintenir le bâtiment en ligne; qu’en tant que de  besoin, l’exposant sollicite l’audition de l’équipage du "„D“".

QU’en outre, en ce qui concerne les conséquences du heurt, le défendeur affirme que le heurt n’avait causé aucun dégât important au duc d’Albe lequel n’a été que "tordu légèrement"; que la légère torsion du duc d’Albe n’a pas rendu son remplacement indispensable, de sorte que le montant de frais de remise en état et par voie de conséquence, les frais de l’expertise, ne sont pas justifiés.

U’enfin le défendeur, n’étant pas responsable de l’endomma-gement du duc d’Albe, l’ELECTRICITE DE FRANCE est tenue, en application de l’art. 700 du Nouveau Code de Procédure Civile de lui verser les frais, honoraires et débours de 5.000 francs dont il n’est pas équitable que l’exposant supporte la charge; qu’il convient d’ailleurs d’ajouter à ce montant les frais de l’expertise contradictoire engagés par l’exposant:

L’ELECTRICITE DE FRANCE réplique dans son mémoire du 21 mars 1980 en faisant valoir :

l- que c’est à bon droit que le Tribunal pour la Navigation du Rhin a jugé que l’ELECTRICITE DE FRANCE a bien qualité pour exercer en son nom propre et en vertu d’un droit qui lui est propre l’action en dommages et intérêts tendant à obtenir le remboursement du dommage; que ce faisant, le premier juge a fait une juste application de l’art. 31 du Nouveau Code de Procédure Civile au regard des dispositions du Cahier des Charges de la concession et d’une jurisprudence constante tant de la Cour de Cassation que du Conseil d’Etat, s’agissant des droits reconnus en France aux concessionnaires d’un élément du Domaine Public ;
 
- que c’est à juste titre également que le premier juge a retenu que l’accident a trouvé sa seule cause dans l’imprudence fautive du défendeur; que tout en se référant aux moyens déjà longuement exposés en première instance, il soutient derechef que la rafale de vent n’était nullement soudaine et que la vitesse du vent n’était pas d’une violence tout à fait exceptionnelle ; que d’ailleurs le vent et la tempête ne constituent une force majeure que s’ils revêtent un caractère de violence excédant la normale des troubles atmosphériques auxquels il faut s’attendre dans la région ; qu’en tout cas l’ELECTRICITE DE FRANCE s’oppose à l’audition de l’équipage du "„D“" dont le témoignage serait sujet à caution, alors surtout que cet équipage s’est rendu complice de l’infraction commise par le capitaine qui a sciemment omis de signaler l’accident ;

- que les "errements procéduriers" de M. „M“ l’obligent à faire plaider une nouvelle fois ses conseils devant la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin et que dans ces conditions, la demanderesse et intimée prie la Commission Centrale de vouloir lui allouer une indemnité complémentaire de 4.000 francs sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L’ELECTRICITE DE FRANCE forme appel incident en ce qui concerne l’octroi des délais de paiement accordés par le premier juge en faisant valoir que la procédure d’appel engagée par M. „M“ lui permet, à elle seule, d’obtenir, par artifices dilatoires, des délais supplémentaires.

L’ELECTRICITE DE FRANCE conclut en conséquence comme suit :

- Statuant sur l’appel principal

Condamner M. „M“ à payer à l’ELECTRICITE DE FRANCE:

1) la somme de 51.120 francs hors taxe, en réparation du dommage résultant de l’accident du 24 janvier 1978,

2) la somme de 2.585 francs à titre de frais d’expertise:

3) dire que ces montants porteront intérêts au taux, légal à compter du 11 février 1980. Condamner M.R. „M“ à payer à l’ELECTRICITE DE FRANCE:

la somme de 8.000 francs par application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Condamner M.R. „M“ en tous les frais et dépens.

- Statuant sur appel incident:

dire  qu’il   n’y  a   pas   lieu  d’accorder   au   défendeur   et appelant   les   délais  de  paiement   initialement   accordés par   le  premier   juge  -   en  conséquence   -
Condamner  M.   „M“   à   se   libérer  de   sa   dette   dès   le   prononcé de   la  décision   à   intervenir.
 
EXPOSE DES MOTIFS:

VU les pièces de la procédure, les documents irrégulièrement communiqués et produits aux débats, ensemble le jugement entrepris et les mémoires des parties, auxquels la Chambre des Appels se réfère, en tant que besoin, pour plus ample exposé des faits et moyens.

ATTENDU que l’appel interjeté par M. R. MENTRATH et l’appel incident formé par l’ELECTRICITE DE FRANCE sont réguliers en la forme et conformes aux prescriptions de la Convention de Mannheim.

1. Appel principal

Sur la recevabilité de la procédure engagée par l’ELECTRICITE DE FRANCE
ATTENDU qu’aux termes de l’art. 31 du Nouveau Code de Procédure Civile "l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé",

QU’il s’ensuit que l’ELECTRICITE DE FRANCE, obligée sous sa responsabilité de veiller à l’entretien et à la conservation des ouvrages qui ont fait l’objet d’une concession, doit se voir reconnaître la faculté d’exercer des actions qui ont pour objet la conservation desdits ouvrages et, par voie de conséquence, leur remise en état en cas de dégâts causés par un tiers.

ATTENDU, en effet, que s’il résulte de la Convention du 7 juillet 1926 relative à la concession des travaux d’aménagement de la chute de KEMBS et notamment des articles 2 et 37 du Cahier des charges, que font partie des dépendances immobilières de la concession, les écluses, leurs dérivations, lesquelles reviendront à l’expiration de la concession gratuitement, franches et quittes de toute charge à l’ETAT FRANÇAIS, il n’en demeure pas moins que l’ELECTRICITE DE FRANCE a reçu de l’ETAT FRANÇAIS le droit d’exploiter à son profit les installations édifiées pour les besoins de la concession et qu’elle a été chargée de veiller, sous sa propre responsabilité, à la conservation de tout ce qui forme l’objet de la concession; qu’il ne saurait d’ailleurs en être autrement puisque l’art.10 du Cahier des Charges de la concession prévoit que "les ouvrages, les machines et l’outillage, établis en vertu de la présente concession seront exécutés en matériaux de bonne qualité, mis en oeuvre suivant les règles de l’art et entretenus en parfait état par les soins du concessionnaire et à ses frais",

QU’admettre une solution contraire serait créer une situation pour la moins paradoxale puisque la partie tenue au financement des opérations de réparation ne serait pas habilitée à engager une procédure pour obtenir le remboursement des frais avancés.
 
ATTENDU qu’il est d’ailleurs de jurisprudence constante en France que le concessionnaire du Domaine Public a le droit d’agir; qu’il a notamment été jugé qu’il appartient à l’autorité judiciaire de con¬naître d’une action en dommages-intérêts formée contre un particulier par le concessionnaire d’un port de commerce en raison des dégâts occasionnés à un ouvrage public dont l’entretien lui incombe et des pertes consécutives éprouvées dans l’exploitation d’une concession,

ATTENDU dans ces conditions qu’il échet de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le défendeur et appelant et de déclarer que l’ELECTRICITE DE FRANCE a qualité pour exercer, en son nom propre et en vertu d’un droit qui lui est propre, l’action en dommages intérêts dirigée contre M. „M“.
Sur la responsabilité du conducteur du „D“,

ATTENDU qu’il est constant que, dans la soirée du 24 janvier 1978, vers 17h30, l’automoteur rhénan "„D“" appartenant à Monsieur Robert „M“ et piloté par celui-ci, a heurté un duc d’Albe dans le garage amont des écluses de KEMBS, plus précisément le premier à l’amont des trois  qui existent en rive droite;

QUE dans la matinée du 25 janvier 1978 l’automoteur a été éclusé dans le grand sas à 7h20; que des opérations d’éclusage se sont effectuées normalement sans que le conducteur ait déclaré aux autorités compétentes qu’il y avait eu la veille heurt entre le bâtiment qu’il conduisait et un duc d’Albe dans le garage amont des écluses; que ce n’est qu’à 10h30 du même jour (25 janvier), au cours d’un contrôle de routine, que la Brigade fluviale de la Gendarmerie de Neuf-Brisach a demandé des explications au capitaine, au vu des dégâts existants sur la coque du "„D“"; que ce n’est que lors de cette interpellation que M. „M“ a reconnu avoir heurté un duc d’Albe, "le premier en amont des trois qui existent en rive droite", occasionnant ainsi au bateau qu’il conduisait une déchirure se trouvant au-dessus de la ligne de flottaison; qu’il résulte des constatations faites le 25 janvier 1978, qu’au moment de l’accident (24 janvier) les circonstances atmosphéri¬ques pouvaient être qualifiées comme suit: "tempête(vent fort)".

ATTENDU, tout d’abord que l’importance des dégâts causés à l’automoteur atteste, à elle seule que le choc a été violent et que sa puissance a été telle qu’elle pouvait bien entraîner des dégâts sérieux sur le duc d’Albe; qu’il est précisé dans le rapport d’expertise que la déchirure de la tôle "permet de conclure que le bateau s’est empalé sur un bollard du pal pieu" ;   qu’il résulte d’ailleurs dudit rapport que M. KESBERG appelé à contrôler la partie immergée du duc d’Albe n’a pu constater sous l’eau "ni endommagement du palpieu ni affouillement autour du pied entouré de gravier et gros galets"; que de ces consta¬tations il y a lieu de déduire que le dommage dont réparation est demandée est bien la conséquence du heurt provoqué par le "„D“";

ATTENDU que s’il est établi qu’un vent fort soufflait lors de l’accident, il faut admettre que le capitaine du "„D“" devait plus qu’en d’autres circonstances, faire preuve de vigilance dans la conduite du bâtiment ;  qu’à cet égard il y a lieu de relever que la Direction de la météorologie du Ministère des Transport consultée, affirme que dans la journée du 24 janvier 1978, la vitesse moyenne du vent calculée sur 10 minutes environ était de 17 mètres/seconde soit 6l Km/H ; que l’on ne saurait donc parler de "tempête", ce vocable désignant dans l’échelle "Beaufort" des vents qui atteignent la force 10, soit une vitesse moyenne, égale ou supérieure à 24,5 mètres/seconde;

QU’en tout cas la vitesse du vent dans la journée de l’accident n’autorise pas M. „M“ à soutenir qu’il s’agissait d’une tempête exceptionnellement violente, alors surtout que l’accident du „D“ est le seul qui ait été enregistré dans la journée; qu’il y a donc lieu d’admettre, avec le premier juge, que la rafale de vent n’était nullement soudaine; que le conducteur du bâtiment ne peut donc raisonnablement soutenir qu’il a été surpris par un événement imprévisible et irrésistible que, partant, il ne peut invoquer la force majeure ou le cas fortuit;qu’en conséquence, il échet de considérer que l’accident a trouvé sa seule cause dans l’imprudence fautive de M. „M“;   que cette manière de voir est du reste corroborée par le propre assureur de M. „M“, lequel, dans une lettre datée du 25 juillet 1978 adressée à l’ELECTRICITE DE FRANCE, sans contester l’existence d’une faute nautique, s’est expressément engagé à rembourser le dommage à condition qu’il acquière la certitude que celui-ci ait bien été provoqué par le „D“;
QU’il n’y a pas lieu, dans ces conditions de procéder à l’audition des membres de l’équipage du „D“ dont le témoignage serait sujet à caution, alors surtout que cet équipage s’est rendu complice de l’infraction commise par le capitaine qui a sciemment omis de signaler l’accident aux autorités compétentes.
Sur le montant du dommage

ATTENDU que les montants réclamés au titre de la réparation du dommage et des frais d’expertise, justifiés par les pièces produites, n’ont pas été discutés devant le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg;

QUE M. „M“ avait d’ailleurs conclu, à titre subsidiaire, à l’octroi des plus larges facilités de paiements

ATTENDU qu’en instance d’appel et devant la Chambre des Appels, M. „M“ semble adopter une nouvelle attitude puisqu’il fait écrire dans son mémoire ampliatif du 10 mars 1980 que "si les frais de remplacement du duc d’Albe tordu légèrement ont été estimés contradictoirement à la somme de 51.120 francs H.T., les constatations contradictoires, compte tenu des réserves de l’expert désigné par l’exposant, ne permettent pas d’établir que le heurt est la cause de la nécessité de ce remplacement"; qu’il ajoute dans ce mémoire que "la légère torsion du duc d’Albe n’a pas rendu son remplacement indis¬pensable, de sorte que le montant des frais de remise en état et par voie de conséquence, l’expertise, ne sont pas justifiés";

ATTENDU qu’il n’a a pas lieu de s’arrêter à ce volte face, à ce changement subit d’attitude, car lors de l’expertise contradictoire, les représentants des parties étaient convenus que le remplacement s’avérait nécessaire pour la remise en état des installations et en avaient arrêté le coût à la somme de 51.120,- frs H.To

Sur les dommages- intérêt s tendant à l’indemnisation des frais du procès n’entrant pas dans les dépens

ATTENDU que l’art. 700 du Nouveau Code de Procédure Civile prévoit que le juge peut condamner une partie à payer des sommes dé boursées par son adversaire et qui ne rentrent pas dans les dépens; que le juge le fera même en l’absence de faute établie, lorsqu’il lui paraîtra inéquitable de laisser à la charge de cet adversaire le montant total des honoraires et autres frais qu’il a dû débourser et qui ne sont pas des dépens au sens propre du mot; que le juge dispose à cet étard d’un pouvoir souverain d’appréciation, notamment quant à la notion d’équitabilité entrant dans la décision d’imputation desdits frais.

ATTENDU, en l’espèce, et eu égard à l’application de l’article 30 du Règlement de Procédure de la Chambre des Appels, que pour obtenir la reconnaissance de ses droits, l’ELECTRICITE DE FRANCE a dû introduire la présente procédure alors qu’il résultait à suffire, et du procès-verbal de la Gendarmerie et du rapport d’expertise, que les dégâts occasionnées au duc d’Albe avaient été provoqués par le choc avec le "„D“" et la fausse manoeuvre d’amarrage du conducteur de ce bâtiment; que pour suivre cette procédure l’ELECTRICITE DE FRANCE s’était fait représenter en première instance et en instance d’appel par des avocats du barreau de Strasbourg, dont les interventions sont génératrices de frais; qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de l’ELECTRICITE DE FRANCE le montant total des honoraires et autres frais qu’elle a dû débourser et qui ne sont pas des dépens au sens propre du mot; que la Chambre des Appels, sans avoir à caractériser l’existence d’une faute, puise dans son pouvoir souverain d’appréciation, le droit de condamner M. „M“ â payer à l’ELECTRICITE DE FRANCE la somme de 8.000frs pour les deux instances, par application de l’art.700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

ATTENDU que M. „M“ a également demandé, sur le fondement de l’art.700 du Nouveau Code de Procédure Civile, de lui allouer une somme de 5.000 francs, montant représentant des frais, démarches et débours dont il n’est pas équitable qu’il supporte la charge.

ATTENDU cependant que la condamnation de l’ELECTRICITE DE FRANCE qu’il réclame de ce chef procède de son propre comportement et des errements de procédure qui sont les siens; qu’il ne peut prétendre à un quelconque montant en application de l’art.700 susvisé; qu’il n’y a donc pas lieu de faire droit à une pareille demande.

II. Appel incident

ATTENDU que dans son jugement du 11 février 1980 le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg a autorisé M. „M“ â se libérer de sa dette par des versements mensuels de 6.000 francs â partir du 1er mars 1980.

ATTENDU que la procédure d’appel engagée par M. „M“ lui a permis, à elle seule, d’obtenir, par artifices dilatoires, des délais supplémentaires; qu’il n’y a pas lieu de lui faire bénéficier des délais de paiement initialement accordés par le premier juge.
 
PAR CES MOTIFS et ceux non contraires du premier juge

La Chambre des Appels

Déclare recevable l’appel principal de M. „M“ et l’appel incident formé par l’ELECTRICITE DE FRANCE.
Statuant sur l’appel principal :

Le déclare mal fondé,

En conséquence, confirmant partiellement le jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg en date du 11 février 1980, Condamne M. Robert „M“ à payer à l’ELECTRICITE DE FRANCE:

- la somme de 51.120,00 francs H.T. en réparation du dommage résultant de l’accident du 24 janvier 1978,

- la somme de 2.585,OO francs à titre de frais d’expertise,

Dît que ces montants porteront intérêts au taux légal à compter du 11 février 1980,

Condamne M. „M“ à payer à l’ELECTRICITE DE FRANCE la somme de 8.000,00 francs par application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Statuant sur l’appel incident:

Dit n’y avoir lieu d’accorder à M. „M“ les délais de paiement initialement accordés par le premier juge et

Condamne en conséquence Monsieur „M“ à se libérer de sa dette dès le prononcé du présent arrêt,

Condamne M. „M“ en tous les frais et dépens tant de première instance que d’appel,

Dit que les frais sont à liquider conformément à l’article 39 de la Convention révisée pour la navigation du Rhin, par le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg.